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Journal d'un confinement mexicain, part I

24.03.20 "Au Tibet, les moines font des mandalas avec du sable coloré qu'ils étendent pour en faire d'immenses et magnifiques dessins. Quand ils les ont terminés après des jours ou des semaines de travail, ils les effacent. Tu dois essayer de considérer cette expérience comme un mandala, travaille dur pour qu'elle soit la plus significative et belle possible puis reprends le cours de ta vie et dis-toi que tout cela n'était que temporaire. Tu ne dois jamais oublier : tout n'est que temporaire." (extrait S.1, Ep.1 de Orange is the new black) Ecrire mes questionnements précédemment, je le savais, m'aiderait à prendre une décision, ainsi quelques heures plus tard, c'était chose faite. Nous avons décidé de rester au Mexique et de faire un "confinement préventif" bien qu'il ne soit pas encore imposé par le gouvernement, un gouvernement par ailleurs jugé plutôt laxiste pour certains. Je me suis dit que nous avions malheureusement déjà suffisamment d'exemples et de contre-exemples sur la planète nous démontrant que c'est ce qu'il y a de plus sage et surtout de plus accessible à faire actuellement. Comme le dit une image un poil "gnangnan" qui circule actuellement "il n'a jamais été aussi facile de sauver des vies". Evidemment je me sens responsable, de ma famille, de moi même, mais aussi des autres. C'est la décision qui m'a semblé soudainement la plus citoyenne, comme un devoir qui s'est imposé à moi pour que nous ne tombions pas malades ni ne soyons un risque pour autrui. Je ne cesse de me répeter que "s'il y a bien des gens qui ont les resssources pour cela, c'est bien nous !" en effet, nous avons connu avec notre travail humanitaire la restriction de mouvements, l'analyse des risques sécurité et l'application de règles strictes, les couvres-feux, et plus simplement un mode de vie austère loin de chez nous. C'est avec cette expérience que nous avons donc pris cette décision : rester au Mexique, se protéger soi et les autres, et surtout essayer d'utiliser nos ressouces intérieures pour en tirer le meilleur parti. Ce choix a fait sens pour Beryl aussitôt que nous avons décidé de louer une maison avec un extérieur. Elle a réalisé, tout comme moi, que nous avons encore la possibilité et aussi le pouvoir d'achat pour être mieux ici que dans notre appartement provençal. Nous avons donc trouvé une maison avec piscine privative (et Netflix!) dans un quartier résidentiel de Playa del Carmen pour un loyer qui reste cher ici (40e/nuit) et emménagé hier. Nous l'avons loué pour 2 semaines, bien que je me sente prêt à ce que cela soit plus long, d'un point de vue légal nous avons aussi la chance d'être dans un pays qui délivre des visas touristiques de 6 mois. Nous avons fait de grosses courses pour éviter toute sortie pour ces 15 prochains jours, acheté des jouets Made in China pour Basile ce qui me vaut une réplique notable de Beryl "Faut bien qu'on les aides à se relever ces Chinois". Beryl a fait avec amour une liste de 15 repas pour être efficace, l'appartement se trouvant à 10 minutes à pied d'une grande surface. Dans l'échec absolu de cette semaine, il y a le paquet de 80 couches que nous avons acheté : ce sont des couches affreusement parfumées. Basile a lui aussi trouvé son style de voyageur, avec ses colliers tortue et ambre/pierre de lave, il a aussi dit au revoir au rythme bébé-bio de la maison, en revanche avec ces couches on touche le fond. Beryl a qualifié l'odeur de "pot-pourri de la foirfouille" quant à moi de "déo pour chiottes à la pêche de chez Aldi". C'est donc avec cette odeur collée à tout jamais à mes poils de nez que nous commençons notre confinement. Une bonne nouvelle malgré tout : Basile a retrouvé un lit parapluie !! Voilà 3 semaines qu'il dort dans sa petite tente. Les jours suivants, notre choix s'est confirmé par les nouvelles suivantes : Cuba ferme ses portes, notre vol est annulé et les touristes sur place imposés au confinement en attente de leur départ. C'est une information qui malgré tout nous impacte quand même puisque le trafic aérien entre Cuba et l'Europe était encore un des rares qui soit ouvert et dont les prix ne s'étaient pas encore envolés. Cela nous ferme temporairement une sortie de secours en quelque sorte. Contrairement à des informations que j'entends dans les médias : les compagnies aériennes ne remboursent pas. Elles proposent un avoir valable 12 mois ou un report de date, ce qui pour des compagnies comme Corsair est selon moi d'une grande injustice. En effet Corsair propose essentiellement des vols transatlantiques, rajouté au fait que le trafic aérien va être gelé pour une durée indeterminée, le touriste moyen ne va pas pouvoir ré-utiliser ces avoirs : c'est une nouvelle fois le consommateur et non le patron qui paye, je vais devoir lâcher prise sur cette réalité purement et simplement capitaliste. Sans transition, je repense au discours présidentiel et cette phrase, que j'estime provocatrice et irréspectueuse d'une certaine manière me trotte dans la tête : "Nous sommes en guerre !". Je comprends son intention, néanmoins je ne peux m'empêcher de penser à tous ceux qui connaissent ou ont connu la guerre, que penseraient-ils de cette phrase ? Je pense à mes ancêtres, je pense aussi à Bachir, ce jeune homme des camps de déplacés de Bangui qui a perdu presque toute sa famille à cause des conflits armés, et qui s'est imposé à moi comme une figure emblématique et néanmoins pleine d'espoir du chaos centrafricain de 2014. Qu'en penserait-il? Loin de moi l'idée d'atténuer cette réalité tragique pourtant, et du compteur qui au moment où j'écris ces mots affiche 417 698 contaminés et 18 614 morts sur la planète. Il s'agit d'une pandémie, ce mot se suffit à lui même. Je pense aussi à mon ami qui est devenu papa cette semaine et n'a pas pu assister à l'accouchement. Je pense aussi aux gens qui meurent seuls, il y en avait déjà avant cette pandémie, et j'y pensais déjà. Cela me bouleverse. Appliquant à nous même des mesures qui ne sont encore pas imposées par le gourvernement mexicain, j'ai aussi une pensée pour mes collègues qui ont travaillé sur des missions Ebola, et appliqué les mesures MSF du "No-Touch Policy" (on ne se touche pas). Ils m'ont raconté comme "ca fait bizarre" de rentrer de mission et de recevoir des accolades et des poignées de mains. Je me demande ce qu'il restera de cette expérience en chacun d'entre nous. Est-ce que l'on regardera d'un autre oeil les jours passés à rester chez soi par choix ? Est ce que l'on va stocker plus dans nos placards ? Pendant combien de temps après cela "va t-il nous faire bizarre" à nous aussi?

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